Parole d'expert : la rénovation énergétique du bâti ancien

Rénovation énergétique

Le regard de Samuel Courgey sur la proposition de loi visant à adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien, actuellement en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

Après un passage au Sénat, la proposition de loi visant à « adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien » est en cours d'examen à l’Assemblée Nationale. Elle a pour objectif de mieux prendre en compte les spécificités de l’ancien, qui concerne près d’un tiers du parc construit.

Interview


Samuel Courgey, co-fondateur d’Effinergie, expert des matériaux biosourcés et de plusieurs sujets liés à la rénovation thermique du bâti ancien répond à nos questions.

Le texte mentionne les conséquences néfastes de rénovations inadaptées du bâti ancien. Quels points de vigilance faut-il avoir à l’esprit lors de la rénovation de ce type de bâtiments ?

Je vois 4 principales erreurs techniques que l’on peut faire sur le bâti ancien. 

  1. Y apporter trop de rigidité. Cela nous invite d’abord et avant tout à être très prudent avec les solutions "béton", en premier lieu les dalles.
  2. Contrarier l’aspect « perspirant » des parois. La grosse erreur répétée au cours du XXème siècle a été d’appliquer des enduits ciment sur des murs anciens. Une autre que certain·es font encore est de mettre en œuvre des isolants fermés à la vapeur d’eau, type polystyrène et polyuréthane, ou des pare-vapeurs en lieu et place de membranes hygrovariables. Le résultat peut être dramatique, particulièrement pour les encastrements de poutres, ou en présence de remontées capillaires.
  3. Oublier d’y renouveler régulièrement l’air intérieur. Cet oubli fréquent vient sans doute du constat que dans l’ancien nous n’avions pas besoin de VMC. Sauf qu’alors les cheminées et les poêles envoyaient l’air intérieur dehors tout au long de l’hiver. Depuis on a installé le chauffage central, mais sans remplacer ce second rôle primordial qu’avait le chauffage d’antan. De fait, l’air n’est pas sain, et les problèmes dus à la condensation s’accumulent.
  4. Rendre les bâtiments trop sensibles aux risques de surchauffes. Cela peut venir du choix de l’isolation intérieure, mais plus encore d’une étanchéité à l’air non améliorée, et de volets qui disparaissent ou ne sont plus utilisés en protection solaire. Également, de nouveaux parements faisant perdre l’inertie intérieure : parquet flottant ou moquette en sol, doublage « placo » de plafond, et surtout de murs de refend. 

Vu que beaucoup de ces erreurs se font encore, certain·es en déduisent que le bâti ancien ne peut être thermiquement rénové. C’est une erreur, il le peut, mais pas n’importe comment.

 

 

En ce qui concerne les autres erreurs, telles que les isolations par l’extérieur qui dénaturent les façades originelles, qu’en pensez-vous ?

C’est exact, une 2éme famille de risques concerne la détérioration de l’esthétique du bâtiment. Ça peut effectivement être le cas avec la mise en œuvre d’une isolation extérieure, ou d’une isolation « sarking ». Également du fait d’un changement de fenêtre ou de porte non à propos.

Et pourtant, une réhabilitation représente une occasion de faire évoluer les façades. Sur les bâtiments à forte valeur patrimoniale, qui d’ailleurs ne sont pas forcément anciens, on cherchera souvent à se rapprocher de l’esthétique originelle. Mais sur la majorité du parc restant, il est assez légitime, par exemple, de vouloir l’ouvrir plus au soleil, par de nouvelles ouvertures, ou des baies plus largement vitrées. Mais, comme la pose d’une ITE, cela ne s’improvise pas. C’est une des raisons qui fait que je suis rassuré lorsque je vois des professionnel·les de la conception sur les projets de rénovation.

Mais nous pouvons également avoir des éléments faisant patrimoine à l’intérieur ; par exemple un escalier, une boiserie, un parquet ou un plafond mouluré. L’état des lieux devra les repérer, et l’équipe en charge du projet décider avec la·le maître d’ouvrage ce qui peut être déposé de ce qui devra être gardé (1).

 

Le texte propose de renforcer les exigences de formation pour les auditeurs de bâtiments anciens d’intérêt patrimonial. Existe-t-il des formations ou des ressources sur ce sujet ?

La principale erreur de la législation sur l’audit et le DPE est de demander aux professionnel·es qui les réalisent de terminer leur rapport par une liste de recommandations de travaux. Iels n’en ont ni le temps ni, très souvent, la compétence. Concernant le reste de leur mission, je pense qu’il suffit de parfaire la méthode de calcul, leur expliquer les spécificités du bâti ancien et comment les rentrer dans le logiciel.

Sachant qu’il existe déjà de très nombreuses ressources sur le sujet : en premier lieu le site CREBA et sa formation en ligne « MOOC Concevoir une réhabilitation énergétique responsable du bâti ancien ». Il représente une bonne suite aux formations Feebat, dont celle sur le bâti ancien, ou aux MOOC « Rénovation performante - Les clés de la réhabilitation énergétique» et « Rénovation performante - Risques et bons réflexes ». Rappelons également qu’une production locale fait partie des références nationales : « Adapter le bâti ancien aux enjeux climatiques », de l’AJENA.

 

La proposition de loi évoque les matériaux biosourcés et géosourcés. En quoi sont-ils particulièrement adaptés à la rénovation du bâti ancien ?

En plus de leurs nombreux avantages : bilan carbone, matériaux renouvelables, filières propices à l’économie des territoires…, employer des biosourcés nous dispense des 2 premières grosses erreurs techniques que je viens de citer. En effet, l’utilisation de structures bois n’apporte pas de rigidité contrariant le bâti ancien, et l’utilisation d’isolants et de parements biosourcés ne crée pas de milieu confiné à l’humidité. (Excepté si vous utilisez des membranes d’étanchéité à l’air trop fermées à la vapeur, ce qui est une erreur encore présente dans certains avis techniques… )

Concernant ce que l’on entend désormais par « géo-sourcé », c’est-à-dire généralement la pierre et les solutions à base de terre crue, leur utilisation apporte de l’inertie, qui manque souvent lors d’une réhabilitation courante. Et côté enduit, en confirmant les solutions à base de chaux ou de terre, cela réhabilite les savoir-faire traditionnels, et tourne définitivement la page des enduits ciment.

Enfin, les isolants biosourcés mais plus encore le bois et la terre crue sont des matériaux hygroscopiques. Ils contribuent par ce fait à plusieurs facteurs jouant sur notre sensation de confort, notre ressenti. Bien que non encore quantifiés, ce sont là des points qui paraissent ouvertement positifs.  

(1). Le collectif Effinergie travaille actuellement avec le Ministère de la Culture à l’élaboration du "diagnostic patrimoine", sorte de grille de lecture à l’usage des professionnel·les permettant le repérage de ce qui fait patrimoine. 

Les formations en Bourgogne-Franche-Comté

Vous souhaitez parfaire vos connaissances du bâti ancien ? Vous former sur les matériaux biosourcés ? Voici une sélection de formations disponibles en Bourgogne-Franche-Comté sur ces sujets en plus des ressources citées dans l’interview et des pages dédiées du site www.associationarcanne.com : 
 

Pour en savoir plus

Dernière mise à jour : 22 avril 2025

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